En regard de la théorie de l’attachement nous envisagerons les aspects critiques et les théorisations issues d’autres approches. Nous nous interrogerons sur les liens entre attachement, sexualité et sur les perspectives thérapeutiques nouvelles que ce concept a permis d’ouvrir.
Mon intervention prend appui sur la lecture du livre « Théorie de l’attachement et psychanalyse » de Peter Fonagy.
- Ce livre examine de façon très détaillée les relations entre les théorisations issues des différents travaux concernant d’un côté : l’attachement et de l’autre : la psychanalyse. Il s’intéresse à l’épistémologie de chaque théorie pour tenter d’en comprendre les convergences, les divergences et les implications thérapeutiques qu’elles ouvrent respectivement. Comme il fait, par ailleurs le constat que la psychanalyse ne constitue pas un ensemble théorique cohérent il étudie de façon spécifique la pensée de différents auteurs en commençant évidemment par Freud puis par le modèle structural incarné par Anna Freud ,Margaret Malher, Joseph Sandler. Il étudie successivement le modèle proposé par Klein et Bion puis les apports de Winnicott des psychanalystes anglais et nord américains (Heinz Kohut, Otto Kernberg), l’œuvre D Stern et plus encore.
- Je ne rentrerai pas dans le détail de cette revue critique des apports de chaque auteur trop longue à traiter ici pour me concentrer sur les derniers chapitres du livre qui en présentent un résumé.
Historiquement La psychanalyse et la théorie de l’attachement partage une même origine puisque Bowlby (1907-1990) était psychanalyste.
La famille Bowlby appartenait à la classe aisée de Londres. Quatrième de six enfants, John a été élevé par une nourrice comme le veut la mode britannique de sa classe sociale. Il voyait sa mère seulement une heure chaque jour après le « » (collation de 16 heures), sauf pendant l'été où elle était plus disponible. Comme beaucoup d'autres mères de l'époque, elle considérait que l’attention et l'affection parentales étaient néfastes pour les enfants. Bowlby a eu la chance d’avoir la même nourrice pendant toute son enfance et il avait presque quatre ans quand elle quitta la famille. Plus tard, il devait décrire cette séparation comme aussi tragique que la perte d'une mère. À l'âge de sept ans, il fut envoyé dans un internat. Il a considéré cette période comme une terrible épreuve. Il suit l'enseignement deMélanie Klein, éminente psychanalyste anglaise et est analysé par Joan Rivière.
Ses travaux ne sont donc pas étrangers à la psychanalyse mais la perspective qu’il introduit en mettant l’accent sur l’importance de l’environnement humain et les aspects interrelationnels sont mal intégrés par ses contemporains qui privilégient les aspects intrapsychiques du développement psychique.
Aujourd’hui ces deux aspects sont pris en compte par la psychanalyse et le développement de la théorie de l’attachement même s’ils font encore débat et ont permis de nombreux points de rapprochement et de convergence.
Quelles sont-ils ?
Freud comme Bowlby admettait que l’angoisse est une expérience épi phénoménale biologiquement déterminée, reliée à la perception des dangers à la fois externes et internes dont le modèle psychologique est la perte d’objet.
Le psychanalyste Hongrois Ferenczi avait attiré l’attention sur la nature potentiellement traumatique de la défaillance de l’adulte dans la compréhension des significations du monde psychologique de l’enfant, anticipant ainsi les risques associés au manque de sensibilité de la part des objets primaires.
- Les théories modernes de l’attachement et de la psychanalyse ont toutes deux comme objectif épistémologique fondamental la description des mécanismes internes responsables des contradictions entre réalité concrète et réalité psychique.
- Les deux théories privilégient les premières années de la vie pour l’étude de la relation entre l’environnement social et le développement de la personnalité.
La théorie de l’attachement décrit la sensibilité de diverses manières, qui impliquent toutes les caractéristiques de comportement ou de personnalité du donneur de soins : le niveau global de la capacité de réponse, la justesse des réponses individuelles, les traits de personnalité du donneur de soins, la qualité de la représentation mentale du bébé dans l’esprit du pourvoyeur de soins.
De ce fait, cette théorie mal comprise peut induire rapidement des représentations idéalisées voire normatives du comportement du donneur de soins dans ses interactions avec l’enfant.
La lecture psychanalytique apporte un degré de complexité quien corrige en partie les excès en permettant de penser que le niveau idéal de sensibilité du donneur de soins n’existe pas et que l’existence de ces imperfections est tout autant essentiel à la constitution du psychisme humain dans des limites qui sont néanmoins précisées mais qui autorisent toute la diversité des situations.
Cette idée est au cœur de la notion winnicottienne de maternage « suffisamment bon » du modèle de Kohut « d’internalisation structurante » et des écrits d’Erikson sur l’importance de la réciprocité et des régulations mutuelles. L’accent est mis sur les capacités propres de l’enfant et de ses potentialités qui restent un domaine à mieux saisir et à mieux comprendre.
Le dernier point de convergence entre ces deux théories concerne l’importance que les relations précoces acquièrent dans le développement des fonctions cognitives de l’enfant.
La notion selon laquelle les fonctions psychiques seraient intériorisées à partir des relations d’objets primaires se retrouvent dans des écrits d’un certain nombre d’auteurs psychanalytiques notamment René Spitz qui considérait que le partenaire humain de l’enfant accélère le développement de ses capacités innées et médiatise l’ensemble de ses perceptions, comportements, et connaissances. Le modèle développé par Bion de « contenance » présuppose également que le nourrisson intériorise la fonction de transformation exercée par le donneur de soins et à travers cela, acquiert la capacité de contenir et de réguler ses propres états affectifs négatifs .Selon également Winnicott, l’espace transitionnel entre le nourrisson et le donneur de soins joue un rôle capital dans l’évolution de la fonction symbolique. Ces paramètres peuvent être considérés comme analogue à la notion de base de sécurité de Bowlby. Ces deux points de vue considèrent l’évolution des structures cognitives comme une fonction de l’interaction mère-nourrisson.
La fonction réflexive est une fonction symbolique spécifique. Elle permet aux enfants de concevoir les convictions des autres leurs sentiments, attitudes, désirs, espoirs, connaissances, leur imagination, leur feintes, leurs projets, etc... En même temps qu’il donne du sens au comportement des autres et le rendent prévisible, ils ont la capacité d’activer de façon souple, à partir de multiples séries de représentation de soi avec l’autre, celle qui est la plus appropriée dans un contexte interpersonnel donné. Explorer le sens des actions des autres est lié de façon cruciale à la capacité qu’à l’enfant de nommer sa propre expérience et de la mettre en sens. Cette capacité peut contribuer de façon essentielle à la régulation des affects, au contrôle des impulsions, à la maîtrise de soi, et à l’expérience de l’organisation du soi.
La fonction réflexive est étroitement liée à l’attachement. Si l’on conçoit l’attachement sécure comme l’acquisition de procédures (souvenirs implicites) de régulation des états d’excitation aversifs, on peut avancer qu’une telle information a plus de chances d’être acquise de façon stable et d’être présentée de manière cohérente lorsqu’un état affectif aigu de l’enfant lui est réfléchi par l’adulte de façon juste mais pas débordante. La notion d’attachement sécure serait donc très proche de celle de contenance efficiente de Bion. L’essentiel est la capacité de la mère à contenir mentalement le bébé et à répondre par des soins physiques qui montrent qu’elle a conscience de l’état psychique de l’enfant tout en réfléchissant le fait qu’elle peut y faire face (réfléchir en miroir la détresse tout en communiquant un affect décalé apparemment inconciliable). Si l’attachement sécure est le résultat d’une contenance adaptée, on peut considérer l’attachement insécure comme une identification du nourrisson au comportement défensif du donneur de soins. Un donneur de soins détaché échouera dans la réflexion de la détresse de l’enfant alors qu’un donneur de soins préoccupé la lui réfléchira avec une transparence excessive. Dans les deux cas l’occasion est perdue pour l’enfant d’internaliser une représentation de son état mental. La proximité du donneur de soins est, dans ce cas, maintenu aux dépens de la fonction réflexive. Bolby a reconnu l’importance de l’étape développementale de l’émergence de « la capacité de l’enfant à la fois de concevoir que sa mère a ses propres buts et ses propres intérêts, différents des siens et de les prendre en compte ».
Un certain nombre de données empiriques confortent l’existence d’une relation entre la sécurité d’attachement et la fonction réflexive. L’attachement sécure avec la mère s’est avéré être un bon prédicteur du sens critique de la crédulité chez les enfants de trois à six ans dans les études transversales et longitudinales. Sur la base de telles découvertes, Fonagy a avancé que l’acquisition de la fonction réflexive par l’enfant et la tendance à incorporer les attributions d’états mentaux dans les modèles internes opérants des relations du soi avec l’autre dépendent des possibilités qu’il a eues, au début de sa vie, d’observer, d’explorer l’esprit de son donneur de soins primaires. Le parent d’un enfant sécure s’engage dans des comportements, comme le jeu de faire semblant, qui l’oblige pratiquement à contempler l’existence des états mentaux. La compréhension de l’esprit de l’enfant par le donneur de soins favorise un attachement sécure. Une lecture juste de l’état mental de l’enfant, tempérée par la preuve que l’adulte peut faire face à la détresse de l’enfant, étaye la symbolisation de l’état interne qui, à son tour, conduit à une meilleure régulation des affects. L’attachement sécure offre une base relativement solide pour l’acquisition d’une pleine compréhension des esprits. Le nourrisson sécure ne se sent pas en danger quand il pense à l’état psychique du donneur de soins. Au contraire, l’enfant évitant fuit l’état psychique de l’autre, tandis que l’enfant résistant se focalise sur son propre état de détresse à l’exclusion des échanges internes subjectifs. Les nourrissons désorganisés pourraient représenter une catégorie à part. Ils sont hyper vigilants à l’égard du comportement du donneur de soins et semble montrer une sensibilité, à son état psychique. Cependant, ils ne parviennent pas à appliquer à leur propre état mental (organisation du soi) cette capacité, qui reste mal régulée et incohérente.
Ce modèle dérivé de la théorie de l’attachement, est-il différent des explications psychanalytiques traditionnelles ?
Fonagy développe une pensée et une argumentation personnelle où il montre qu’il n’en est rien et que les tenants des deux théories auraient tout à gagner à intégrer le point de vue de l’autre dans un cercle vertueux qui permettrait de faire progresser la connaissance et la compréhension que nous nous faisons du développement psychique de l’enfant.
Cette intention est tout à fait louable et nous ne pouvons qu’y souscrire pleinement. Néanmoins des différences existent et de mon point de vue, il est plus intéressant de les faire ressortir que de les gommer. Sur le plan historique on peut observer que les travaux de Bowlby ont constamment suscité à l’intérieur de la pensée psychanalytique des débats et un effort de théorisation complémentaire .J’en veux pour preuve l’article de Didier Anzieu tiré de l’ouvrage l’attachement paru en 1992 aux éditions DELCHAUD-NIESTLE et où il cherche à répondre à la question posée par René Zazzo : La psychanalyse n’a-t-elle pas commis une erreur en privilégiant la pulsion sexuelle ? La pulsion d’attachement n’est-elle pas aussi primaire que la pulsion sexuelle ?
Il y répond de deux façons différentes mais complémentaires. D’une part en produisant un travail de théorisation plus approfondi et l’apparition d’un nouveau concept « Le Moi-peau » et d’autre part en rappelant l’axiomatique Psychanalytique.
Parler de libido est une façon de dire :
1) que le but de l’appareil psychique est la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance.
2) que le plaisir est provoqué, chez les êtres humains non pas par des actions ou des états mais par des fantasmes purement psychiques qui trouvent à se satisfaire à l’occasion de ces situations et de ces états
3) que les plaisirs humains se répartissent selon un continuum qui va de la sensualité diffuse de la peau et de plaisir, virtuellement érotique, du fonctionnement des organes biologiques à la décharge sexuelle paroxystique spécifique de l’orgasme adulte.
4) que tous les mécanismes de la pensée sont acquis par étayage sur une fonction biologique (quand celle-ci est source de plaisir) et par figuration symbolique métaphorique et métonymique de cette fonction.
Il serait tout à fait utile de développer un peu plus ce nouveau concept de « moi-peau » et les différentes reprises théoriques dont il a fait l’objet notamment par Serge Tisseron pour mieux saisir l’évolution de la pensée psychanalytique contemporaine et la façon dont elle pourrait répondre aujourd’hui à ce même questionnement mais cela nécessiterait un temps ou un exposé supplémentaire.Concernant les différences je voudrais juste terminer sur une perspective plus philosophique qui est clairement exposé dans le livre de Fornagy.
La naissance des théories de la relation d’objet en psychanalyse s’est accompagnée d’un déplacement d’intérêt vers les questions développementales. Ainsi le fossé entre la théorie de l’attachement et la psychanalyse s’est-il considérablement restreint cependant, les théories de la relation d’objet sont diverses et non pas de définition communément acceptée.
Le point de vue classique enraciné dans la tradition philosophique kantienne soutient que la lutte pour l’autonomie et le règne de la raison constitue l’essence de l’être humain. À l’inverse, le point de vue romantique, que l’on trouve chez Rousseau et Goethe, accorde plus de valeur à l’authenticité et à la spontanéité qu’à la raison et à la logique. Dans l’optique classique, les humains sont considérés comme limités de façon inhérente, mais capables de surmonter, au moins partiellement, leur faille tragique pour devenir « assez convenable » . L’opposition romantique considère les humains comme étant intrinsèquement bons et compétents, mais vulnérables aux limitations et aux préjudices qu’imposent les circonstances. La vision classique aborde la psychopathologie principalement en termes de conflit, alors que la vision romantique considère souvent l’inadaptation en termes de déficit. Du point de vue classique, l’acte inadapté, destructeur, est perçu comme la conséquence d’un état pathologique profondément enraciné, alors que du point de vue romantique, ces actes sont compris comme les manifestations d’un espoir que l’environnement pourrait réparer le mal qui a été fait. L’optique romantique, plus optimiste, voit les êtres humains pleins de potentiels et le nourrisson prêt à réaliser les grands projets de sa destinée. L’optique classique plus pessimiste, considère le conflit comme enchâssé dans le développement normal. On ne peut échapper à la faiblesse humaine, à l’agressivité et à la destructivité ; la vie humaine est une lutte sans fin contre la réactivation des vicissitudes inévitables de l’enfance. Il existe un amour primaire dans la perspective romantique ; dans la vision classique, c’est un accomplissement développemental. Selon ces critères, la théorie de Bowlby serait probablement rangée du côté de l’idée romantique accentuant comme elle le fait le potentiel inné du nourrisson à être en relation, mais aussi sa vulnérabilité à des soins parentaux insensibles et effrayants. Toutefois les théoriciens de l’attachement se démarquent légèrement cette polarité par l’importance qu’ils accordent aux prédispositions génétiques. De son côté la polarité classique est bien représentée par Mélanie Klein et Otto Kernberg. Il est clair que certaines divergences entre la théorie de l’attachement et les modèles de la relation d’objet tiennent simplement à ces visions différentes de l’humain. Même en tenant compte de ces hypothèses, on trouve néanmoins de nombreux points de rencontre.
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